Le secret
Le Secret de Menora… ou le secret bien gardé d’une tombe dans le petit village de Pont-Ligneuville.
Dans le cimetière de Ligneuville, un petit monument, défendu par un grillage et qu’aucune fleur n’éclaire, cache en fait un véritable roman policier qui a fait l’objet d’un film de Harry Kümel en 1969, tiré du roman homonyme de Filip De Pillecyn, lui-même basé sur des faits réels du XIXème siècle.
Voici ce que l’on peut encore lire sur le tombeau :
MENORA GILLIBRAND
décédée à Ligneuville, le 1er mars 1863
En voici le récit extraordinaire :
Un soir d’hiver de 1848, dans un paysage enneigé, un homme d’une rare élégance descend d’une voiture à Ligneuville. Qui est-il ? D’où vient-il ? Personne ne le sait et pourtant le temps finira par percer son incroyable secret….
Quelques années après son arrivée, ce même homme, Monsieur Hawarden, alors bien intégré dans le village, est perçu comme un être charmant et d’une grande érudition. On admire sa courtoisie, on s’étonne de sa générosité. Un homme énigmatique aussi, dont il convient de ne pas chercher à percer le mystère…
Quel est le secret de Monsieur Hawarden ? De quels maux souffre cet homme qui, de temps en temps, est pris d’une toux inquiétante et cache le sang qui apparait sur ses lèvres ?
Il aura fallu attendre que se ferment les volets de l’ancien moulin au bord de l’Amblève, moulin qui avait abrité la vie et les souvenirs de Monsieur Hawarden, pour que le secret soit enfin levé. Lorsque l’on conduit Monsieur Hawarden vers sa dernière demeure, on apprend que cet homme est en réalité une femme et que que son secret l’a protégée. Mais protégée de quoi ???
Ménora Gillibrand, appartenait à la haute société française. On a dit qu’Alfred de Vigny était son parent. Son entourage appréciait sa gentillesse et sa beauté. Deux jeunes gens s’éprirent profondément d’elle. Elle se fiança à l’un, ce qui remplit le rival de désespoir et de rancune. Le fiancé fut tué : Menora soupçonna immédiatement le rival et, convaincue de sa culpabilité, le poignarda avant de se frapper elle même. Le rival mourut ! Menora survécut, mais sa blessure ne guérit jamais complètement et le sang sur ses lèvres témoignerait des suites de sa tentative de suicide.
Menora avait ainsi mis fin à toute possibilité de bonheur. Ayant tué l’assassin de son fiancé, avait-elle commis, sans y avoir pensé, le crime parfait ? Ses confidents l’entourèrent d’attention, comprenant les raisons de son geste et plaidant les circonstances atténuantes…
Un interrogatoire de police aurait probablement suffi à dévoiler le vrai coupable car ce crime parfait n’en était pas un : il ne le devint qu’à la faveur d’un entourage habile et non moins influent ! Un plan, minutieusement étudié, fut échafaudé et obtint l’accord désespéré de Menora. Il allait se réaliser point par point, sans que le commissaire de l’époque n’y mette aucune d’entrave. Il fallait aussi éviter le scandale : Menora se punirait elle-même par l’exil et, vêtue en homme, gagnerait d’abord la Hollande.
C’est dans ce pays qu’elle rencontra le beau-frère du fermier Micha, homme sage et dévoué. Celui-ci répondit au désir de solitude de Menora en faisant aménager le moulin de Ligneuville et en la conduisant dans ce coin tranquille où elle pourrait vivre des années de méditation.
A sa mort, les souvenirs de l’ancien moulin de Ligneuville se réduisaient à quelques objets. La maison de Monsieur Hawarden fut détruite pendant la guerre et remplacée par la maison très moderne d’un boucher. Aujourd’hui, il reste, sauvés de la dispersion et conservés dans un hôtel de l’endroit, le moulin à café, deux louches de Menora et la clé de sa maison. Sur la hauteur de l’autre rive, dans le cimetière en promontoire, on peut également admirer la tombe enveloppée de mélancolie, qui garde le souvenir de Monsieur Hawarden, née Menora Gillibrand.
D’après Adrien JANS.
Journal LE SOIR, dimanche 20 octobre 1957
( http://nemelispas.blogspot.be/2013/02/monsieur-hawarden-ou-le-crime-parfait.html)